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28/11/2010

(UK) Garrow's Law, series 2 : un passionnant legal drama au XVIIIe siècle


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Ce mois de novembre était synonyme de retour pour plusieurs séries que j'avais pris plaisir à suivre l'an dernier. Si je partage plus souvent sur ce blog mes réactions au sujet des dernières nouveautés téléphagiques, il faut y voir plus l'excitation de la découverte (et un arbitrage brise-coeur pour choisir les sujets des critiques) qu'un désintérêt pour ces séries entamant leur deuxième, voire plus avancée, saison. A la télévision britannique, ce sont les inédits de deux fictions extrêmement différentes que j'attendais avec une relative impatience ; l'ambiance inimitable, vaguement déglinguée, des héros de Misfits et l'atmosphère embrumée des prétoires du XVIIIe siècle, théâtres des passes d'armes initiées par William Garrow, avec Garrow's Law.

On parle pas mal de la première sur les réseaux sociaux que je fréquente, beaucoup moins de la seconde, ce qui m'attriste bien. En ce qui me concerne, je ne vous cache pas que j'avais actuellement sans doute plus besoin d'un solide legal drama dans lequel m'investir. C'est donc l'occasion ou jamais de rappeler la série à notre bon souvenir. D'autant plus que, quoi de plus opportun que de mettre le XVIIIe siècle à l'honneur cette semaine ? Car vendredi prochain marque le retour d'une des séries françaises que j'attends et aime à savourer toujours avec beaucoup de plaisir : Nicolas le Floch.
 

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Au cours des dernières semaines, j'ai pu lire ou assister, voire prendre part, à certains débats sur l'opportunité des reconstitutions historiques télévisées (notamment au sujet de Boardwalk Empire). Je ne vous cache pas que je reste dans une certaine incompréhension face aux enjeux de cette problématique qui ferait des séries se déroulant dans le passé une sorte de sous-genre, où la valeur-ajoutée scénaristique se réduirait au seul aspect folklorique des décors, subterfuge censé aveugler le sens critique de ses téléspectateurs. A défaut de comprendre tous les arguments, j'ai au moins pu cerner un des reproches adressés à cette catégorie, qui pourrait se schématiser ainsi : faire de l'historique, pour de l'historique, en oubliant de construire une histoire. Face à ces critiques, j'ai envie de simplement revenir sur ce premier épisode de la saison 2 de Garrow's Law, qui a été diffusé le 14 novembre dernier sur BBC1.

Reprenant avec maîtrise son fil narratif, la série réintroduit efficacement chacun de ses personnages dans leur vie personnelle et professionnelle, retrouvant rapidement un équilibre entre ces deux sphères, dans la droite continuité de la saison passée. Tandis que Lady Sarah Hill renoue avec son époux, miné par la gangrène d'une jalousie dévorante qui l'amène à se persuader que l'enfant de Sarah n'est pas le sien, mais le fruit des fidélités de sa femme avec William Garrow, des assureurs de Liverpool contacte ce dernier pour une question de fraude à l'assurance touchant un commerce particulier : la traite d'esclaves. Un navire s'est en effet débarrassé de 133 esclaves, les jetant à la mer, après avoir risqué d'être à court d'eau potable. Mais cette perte financière, indemnisée initialement et conséquence d'un voyage plus long que prévu, serait due à la faute du capitaine, non aux intempéries maritimes.

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S'il est une chose qu'il faut saluer dans Garrow's Law, ce n'est pas seulement la rigueur avec laquelle elle s'attache à faire revivre le parfum des prétoires du londonien Old Bailey, mais c'est aussi la manière dont elle réussit à nous dépeindre l'esprit d'une époque et les raisonnements qui y ont cours. Le tribunal s'apparente à une scène de théâtre, où les acteurs judiciaires présentent un spectacle dans lequel le public, omniprésent par ses réactions, occupe également une place centrale. Dans cette optique, tout en nous dépeignant des procès, dont certains s'assimileraient plus à une parodie amère de justice, la série s'est toujours beaucoup attachée à nous relater les rouages d'un système judiciaire, socialement discriminatoire, où la défense est le plus souvent privée de tous droits.

Par ce fait qu'elle va mettre en lumière un autre équilibre entre les acteurs judiciaires, où les différences procédurales par rapport aux legal dramas contemporains sauteront aux yeux du téléspectateur, Garrow's Law trouve une résonnance particulière, bien plus moderne que les pourfendeurs des séries historiques ne pourraient l'imaginer. Qu'est-ce que le droit, si ce n'est un mouvement de balancier permanent, symptomatique d'arbitrages incessants et de recherches d'équilibres entre des intérêts divergents. En relatant cette genèse de la prise en compte de nouvelles figures sur la scène judiciaire, en assistant à l'introduction de préoccupations jusqu'alors inexistantes, la série nous invite certes à découvrir un processus historique que les réflexions du tourbillonnant XVIIIe siècle ont amorcé. Mais elle permet aussi, par contraste, de révéler des enjeux fondamentaux, inhérents à tout système judiciaire ; des bases sur lesquelles les séries modernes ne prennent pas forcément le temps d'insister, tout simplement parce qu'elles les considérent, à tort ou à raison, comme de simples acquis anecdotiques. 

Garrow's Law n'est pas seulement une reconstitution historique, c'est une déconstruction et mise au grand jour des rouages de la justice ; un apport intemporel, bien loin de ces idées "folklores télévisés costumés" dans lesquels certains tendent à réduire ces fameuses séries historiques. 

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A ce titre, ce premier épisode de la saison 2 propose un retour solide, en offrant un éclairage, non pas tant sur des questions de procédure, que sur le statut de l'esclave. Le gouffre entre l'atrocité des faits commis et l'angle juridique proposé dans l'affaire du jour jette incontestablement un voile moral trouble sur l'affaire, William Garrow étant mandaté pour plaider une simple fraude à l'assurance, qualification juridique profondément déshumanisée qui laisse le téléspectateur glacé, alors que ce sont 133 êtres humains qui ont été jetés, sans arrière-pensée, à la mer. Ces morts ne sont prises en compte que sur un plan strictement patrimonial, tandis que viennent se greffer, en toile de fond, des enjeux commerciaux et géopolitiques qui amènent des personnalités politiques à intervenir. Comme attendu, le procès prend une tournure particulière à partir du moment où Garrow essaye de replacer dans les débats cette notion d'humanité obstinément exclue par le droit. Mais la conclusion sera à l'image de cette première affaire à l'arrière-goût désagréable.

Si la thématique du jour se révèle pesante, tout en étant traitée de manière rythmée et très convaincante, ne laissant aucun répit à un téléspectateur dont l'attention ne faiblit jamais, la force de Garrow's Law, c'est aussi le fait de ne pas oublier d'apporter une touche humaine à ce tableau de la justice anglaise du XVIIIe siècle, en s'intéressant à la vie personnelle de ses personnages. Non qu'il y ait une réelle originalité dans le traitement des relations qu'elle met en scène, mais cela a le mérite d'offrir un pendant au judiciaire, permettant des parenthèses bienvenues. Cependant, dans l'épisode du jour, l'atmosphère y est tout aussi lourde, abordant peut-être un point de non-retour dans les chaotiques aspirations amoureuses de William Garrow. Car voilà Lady Hill en fâcheuse posture, possiblement ruinée financièrement et socialement, si son mari poursuit la procédure de séparation particulière qu'il semble avoir choisie. Ce volet de la narration risque de ne pas être très reposant non plus dans les prochains épisodes.

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Si le fond est solide, bénéficiant d'un sujet passionnant, la forme ne dépareille pas. La photographie, soignée mais dont les couleurs restent d'une sobriété travaillée, est à l'image, un peu grise, vaguement terne, de cette justice ambivalente ainsi mise en scène. La réalisation est travaillée, proposant des plans intéressants. Sans avoir pour objectif d'être un de ces costume drama censés éblouir, Garrow's Law offre une immersion qui sonne juste et une reconstitution sérieuse à saluer.

Enfin, le dernier atout fondamental de la série réside incontestablement dans son casting, à commencer, surtout, par son acteur principal, Andrew Buchan (Party Animals, Cranford, The Fixer), que ce rôle aura vraiment consacré à mes yeux. Son interprétation de cet avocat qui, au-delà de ses idéaux, n'hésite pas à s'investir pleinement et à se battre judiciairement pour ce en quoi il croit, est vraiment très convaincante. A ses côtés, on retrouve d'autres têtes familières du petit écran britannique, comme Alun Armstrong (Bleak House, Little Dorrit), Lyndsey Marshal (Rome, Being Human), Rupert Graves (Midnight Man, Sherlock, Single Father), Aidan McArde (All about George, Beautiful People) ou encore Michael Culkin (Perfect Strangers).

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Bilan : Garrow's Law dispose de tous les attributs qualitatifs d'un solide legal drama, son atout supplémentaire - et par là même, sa pointe d'originalité - étant que la série se déroule au XVIIIe siècle. Sans opérer de révolution narrative particulière, elle s'attache avec beaucoup de soin à dépeindre une époque judiciaire particulière, sujette à des mutations fondamentales, et où de nouvelles préoccupations apparaissent, reflet des tourbillonnements idéologiques de cette période.

Au final, si elle ne peut sans doute pas être qualifiée d'incontournable, elle remplit de façon convaincante les objectifs non démesurés qu'elle s'était fixée : une reconstitution déconstruisant, avec une résonnance à la fois historique et intemporelle, les rouages d'un système judiciaire. C'est amplement suffisant pour mériter le détour.


NOTE : 7,5/10



Le générique de la série :

(Merci à Critictoo)


La bande-annonce de la saison 1 :


25/10/2010

(Pilote / Mini-série UK) Single Father : veuf et père de famille... mais ensuite ?


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J'ai finalement trouvé le courage durant le week-end de regarder le premier épisode de la mini-série dominicale diffusée sur BBC1 depuis 15 jours : Single Father. Le "courage", voilà bien l'expression adéquate. Non, ce n'est pas mon goût prononcé pour le théâtralisme qui s'exprime. Car si la présence de David Tennant dans le rôle principal n'est pas étrangère au buzz qui l'a accompagnée, son sujet, particulièrement difficile, retenait également l'attention. Et si le visionnage de Single Father fut si difficile, cela n'a rien à voir avec sa qualité indéniable, loin de là. C'est plutôt la conséquence directe d'un thème très éprouvant qui ne peut laisser le téléspectateur insensible devant son petit écran.

Par ricochet, c'est également la rédaction même d'une review qui s'avère compliquée. Submerger par cette dimension émotionnelle, il est difficile de prendre du recul par rapport à ce premier épisode, sur les quatre que va compter la mini-série. Je ne vous cache pas avoir, au cours de ce pilote, construit méticuleusement une pyramide de mouchoirs qui, au bout d'une heure, n'était plus si loin de faire concurrence, en hauteur, à sa consoeur de Giseh. Comment reviewer une fiction où le ressenti est si fort qu'il écarte toute possibilité de raisonnement rationnel ? C'est ce que j'ai tenté de faire dans cette critique.

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Dès les premières minutes, il apparaît évident que Single Father est un drame humain qui sera placé sous le signe de l'authenticité. L'épisode nous plonge immédiatement dans le quotidien animé d'une famille de la classe moyenne britannique. Avec ses cris, ses disputes et ses réconciliations, rien de plus banal finalement que les situations portées à l'écran. Rien de plus reconnaissable pour tout un chacun aussi, que les frustrations et les apaisements ainsi dépeints. C'est donc en premier lieu par cette simplicité presque désarmante que Single Father pose les bases de la tragédie qui va suivre. Car l'enjeu est bien là : la perte de ce cocon confortable, de cette normalité presque stéréotypée, lorsque va se produire un drame qui vient tout bouleverser. Il aura suffi d'une voiture de police, girophare allumé mais sans sirène, grillant un feu rouge à un carrefour pour briser net ce fragile bonheur dont on ne prend généralement pleinement conscience, qu'une fois qu'il s'est enfui.

Rita, mère et épouse, est tuée sur le coup suite à cet accident, laissant derrière elle, épleurés, un mari et quatre enfants, dont l'aînée a 15 ans. C'est désormais sur les épaules de Dave que repose la responsabilité de toute cette petite tribu. Comment continuer à vivre, faire face à son veuvage et à sa propre solitude, tout en étant capable de s'occuper et d'être là pour des enfants ayant perdu leurs repères. Car si les plus jeunes s'échappent de leurs pensées sombres en ayant encore cette capacité d'évasion qui leur est propre, pour s'émerveiller et rester dans leur monde, comment peut réagir une adolescente qui n'est pas la fille biologique de Dave, mais le fruit d'une liaison antérieure de Rita ? Si les amis, la famille, sont là pour aider, est-il seulement possible, dans de telles circonstances, de se reconstruire et de repartir vers l'avant ? Et si oui, de quelle manière cela peut-il se réaliser ?

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Ce qui frappe tout d'abord devant cet épisode, c'est qu'au-delà du tourbillon émotionnel qu'il soulève, il est d'une sobriété rigoureuse et appliquée qui lui apporte une réelle sincérité. Tout au plus Single Father semble-t-il céder une seule fois aux sirènes du lacrymal, par sa gestion temporelle de l'introduction qui amène à une répétition de l'accident fatal, nous faisant vivre deux fois ce fameux moment. Mais dans l'ensemble, c'est avec une retenue presque pudique que l'histoire est mise en scène. Il y a quelque chose de profondément intimiste et de très personnel dans la manière dont les caméras accompagnent ce deuil éprouvant. Des attitudes jusqu'aux dialogues, en passant par les silences et les non-dits, Single Father réussit à raconter avec beaucoup d'authenticité une histoire tellement sensible et difficile à retranscrire.

Pour autant, aucun doute là-dessus : l'épisode est excessivement éprouvant pour le téléspectateur. Mais, si les nerfs des personnages lâchent sporadiquement et légitimement, jamais la mini-série ne verse dans un pathos théâtral qui était l'obstacle le plus difficile à éviter. Pas de capitalisation sur l'empathie et les larmes du téléspectateur, c'est simplement une histoire, tragique certes, mais aussi atrocement simple. Et c'est justement cette proximité que l'on ressent avec les personnages qui accentue la force de Single Father. Les scénaristes ont trouvé le juste équilibre dans ce mélange paradoxal, porté à l'écran, d'exceptionnel et de banalité. De cette impressionnante maîtrise dramatique, on retient une matûrité d'écriture incontestable dont beaucoup de fictions gagneraient à s'inspirer.  

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Si Single Father négocie avec tact le tournant du décès de Rita, l'enjeu va ensuite être de réussir à raconter le deuil de chacun et finalement comment la vie peut continuer après une telle tragédie. Comme le titre l'indique, c'est à travers Dave que va nous être narrée cette reconstruction vers l'avenir. Comment continuer à vivre  en dépit de la douleur menaçant à tout instant de submerger ? C'est une question sous-jacente qui reste informulée, en arrière-plan, et sur laquelle il n'a pas le loisir de réfléchir. Il réagit, recadre, se laisse porter par le quotidien animé que proposent toujours ses enfants. Des plus jeunes n'ayant pas forcément conscience de tout ce qui se passe à l'adolescente ébranlée qui doit désormais en plus faire face à cette crise identitaire qui achève ses dernières certitudes, chacun réagit à sa manière. Une des forces de cette mini-série est de prendre le temps de les individualiser, leur conférant ainsi également une vraie légitimité dramatique.

En effet, toutes les réactions, tous ces échanges, ont une constante : cette impression de sincérité, presque désarmante, mais aussi très poignante, qui émane de chaque scène. La dimension humaine de Single Father doit  beaucoup à la manière dont elle réussit à décrire la dynamique existant au sein de cette petite famille. Le soutien de l'entourage, avec la présence des amis, bénéficie du même traitement narratif. C'est d'ailleurs parmi eux que se trouve peut-être le salut de Dave, alors qu'il se rapproche peu à peu de celle qui partage une douleur aussi profonde que lui, l'ancienne meilleure amie de sa femme... La reconstruction d'une vie a un prix, mais ne sera-t-il pas trop élevé ?

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Bénéficiant d'une réalisation à la sobriété toute aussi maîtrisée, Single Father peut en plus s'appuyer sur un solide casting qui a les épaules pour porter un tel drame émotionnel à l'écran et qui est emmené par un David Tennant (Doctor Who, Blackpool) impeccable : il parvient à jouer dans un registre très émotionnel, avec beaucoup d'empathie, mais sans jamais trop en faire. A ses côtés, on retrouve des valeurs sûres du petit écran britannique : Suranne Jones (Five Days, Harley Street, Coronation Street), Warren Brown (Dead Set, Luther), Isla Blair (House of Cards : The Final Cut), Rupert Graves (Sherlock, Midnight Man, Charles II : The Power & The Passion), Mark Heap (Green Wing, Desperate Romantics, Lark Rise to Candleford) ou encore Neve McIntosh (Bodies). A noter également que Rita, énergique et rafraîchissante, était interprétée par Laura Fraser (Lip Service).

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Bilan : Ce premier épisode de Single Father se révèle impeccable à plus d'un titre dans la manière dont il construit sa narration, presque fascinant dans sa maîtrise. Ne cédant pas à la tentation d'en faire trop dans un pathos qui s'impose de lui-même, il se dégage au contraire beaucoup de justesse et d'authenticité des situations et des échanges mis en scène. Adoptant une tonalité intimiste qui colle parfaitement au drame, Single Father reste d'une sobriété louable qu'il faut souligner. Certes, le visionnage est éprouvant. Je pense que cette mini-série s'adresse à un public averti. Je sais que je suis une téléspectatrice naturellement émotionnelle, mais j'ai trouvé certains passages vraiment difficiles à regarder. En résumé, Single Father est intéressante, elle est d'une intensité troublante et mérite d'être vue, mais pas dans n'importe quelles circonstances et conditions.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de la mini-série :


Une scène extraite du premier épisode :

27/07/2010

(Pilote UK) Sherlock : Modernisation d'un classique. Jubilatoire.

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Ce dimanche soir, BBC1 a entamé la diffusion de Sherlock, une série qui aura connu une bien lente maturation, avant de parvenir finalement sur les écrans britanniques sous un format de 3 épisodes de 90 minutes. Le challenge est stimulant, puisque la chaîne anglaise nous propose d'embarquer trois dimanches d'affilée aux côtés de Sherlock Holmes et de son inséparable acolyte, le Dr Watson, dans une ré-écriture modernisée du mythe du plus célèbre détective anglais, que Arthur Conan Doyle créa au XIXe siècle.

L'idée de transposer Sherlock Holmes dans le décor de notre XXIe siècle pouvait a priori décontenancer. Au-delà des images d'Epinal auxquelles renvoie son nom, il évoque aussi un style marqué par son époque. Sauf que le projet paraissait tout de suite plus réalisable lorsque l'on jetait un oeil sur les noms des personnes qui y étaient associés. Outre Mark Gatiss, à qui l'on doit quelques épisodes de Doctor Who, comme The Idiot's Lantern (saison 2), on retrouve un récidiviste des modernisations de romans de cette fin du XIXe siècle : Steven Moffat. Souvenez-vous, le showrunner actuel de Doctor Who avait, en 2007, réussi une entreprise des plus ambitieuses - et glissantes a priori - : proposer une version actuelle de L'étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde de Stevenson, par le biais d'une mini-série de six épisodes, intitulée Jekyll.

Par conséquent, je n'étais pas loin de penser que si quelqu'un pouvait recréer un Sherlock Holmes du XXIe siècle, crédible et respectant l'essence et l'esprit de cette figure enquêtrice incontournable des enquêtes policières, c'était bien Steven Moffat. Et le résultat n'a pas infirmé cet optimisme.

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Ce premier épisode commence par le début, à savoir la première rencontre entre Sherlock Holmes et John Watson. Ce dernier est un vétéran, médecin militaire récemment rentré blessé d'Afghanistan. Il tente de reprendre peu à peu pied dans le morne quotidien de la vie civile. Si sa psychiatre pense qu'il souffre de stress post-traumatique, Watson cherche surtout à remettre sa vie en ordre. Pour cela, il n'envisage pas de quitter Londres, mais ne peut financièrement assumer un loyer seul. Une rencontre fortuite l'amène à renouer avec une vieille connaissance qui l'introduit à un autre de ses amis, cherchant lui aussi un colocataire dans la capitale anglaise, Sherlock Holmes.

La première rencontre est à la hauteur des personnalités brillantes que sont les deux hommes, dans les couloirs d'une morgue où Sherlock conduit d'étranges expérimentations sur les cadavres. Sans s'en rendre compte, Watson, las de désoeuvrement, se retrouve entraîné dans le quotidien mouvementé de son potentiel futur colocataire du 221B Baker Street. Le parfum de l'aventure, l'adrénaline d'une enquête et la tension suscité par l'imprévu, sont sans doute les meilleurs médicaments dont peut rêver le docteur : évoluer aux côtés de Sherlock Holmes n'est pas de tout repos, mais cela reste tellement stimulant.

D'autant que ce dernier enquête sur une affaire aussi complexe qu'intrigante : une sorte de "serial-suicides" frappe Londres, au cours desquels, des individus semblent avaler volontairement un poison mortel. Comment sont-elles acculées à de telles extrêmités, alors qu'elles ne semblaient pas avoir de tendances suicidaires ? Faut-il y voir une main humaine derrière ces actes ? Le commissaire Lestrade, singulièrement dépassé, en appelle aux services du célèbre détective à partir du quatrième mort.

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Bien plus que l'enquête, prenante à souhait sans être si étonnante ou originale, la grande réussite de l'épisode réside dans le fait d'avoir réussi à capturer l'essence et l'esprit de cette figure littéraire incontournable, tant dans la façon dont la mini-série se réapproprie les personnages, que dans leurs échange qui nous réservent des petits bijoux de dialogues.

Sherlock Holmes est un génie, surdoué de la déduction, trop intelligent pour le quotidien morne et amorphe du monde qui l'entoure. Sa crainte première est de sombrer dans un ennui létal. Avec ses prédispositions naturelles aux addictions, il recherche dans ses enquêtes un challenge à la hauteur de son intelligence, repoussant ses limites. La série capte admirablement la versatilité et les différentes facettes d'un personnage semblable à un tourbillon, aussi fascinant qu'intoxiquant. Elle ne néglige pas non plus cette part d'ombre inhérente à un détective pour qui les crimes à résoudre demeurent ce qui rythme et donne un sens à sa vie. Ce n'est pas pour rien que les policiers le qualifient de "psychopathe", persuadés qu'un jour, ils auront à enquêter sur un mort qui sera de son fait ; ce à quoi il répond calmement, en les corrigeant, qu'il est un  "high-functioning sociopath". C'est sans doute Lestrade qui retranscrit peut-être le plus justement Sherlock : "He is a great man... and I think one day, if we're very, very lucky, he might even be a good one".

A ses côtés, le personnage de Watson offre, évidemment, le contre-poids parfait. Stimulant parfois, canalisant toujours, la présence de ce vétéran se révèle déterminante. Les deux personnages se complètent et s'apportent beaucoup mutuellement. Marqué par la guerre, Watson retrouve avec Sherlock cette bouffée d'adrénaline, dont l'absence le laissait vide et chargé d'amertume. S'il n'accorde pas facilement sa confiance en temps normal, c'est presque instinctivement qu'il trouve ses marques auprès du détective. Sa modération se complétant d'une loyauté sans faille, rapidement testée.

Tout cet univers fonctionne d'autant plus que même les personnages secondaires (Lestrade et Mrs Hudson en tête), plaisants, s'insèrent parfaitement dans la tonalité particulière de cette série.

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Au-delà de ces personnalités qui constituent l'âme de la série, l'un des aspects les plus aboutis de Sherlock réside dans l'ambiance et la tonalité qu'elle parvient à instaurer. Si l'atmosphère reste relativement sombre par son sujet, la série n'hésite pas à introduire des passages plus décalés, voire prenant parfois des accents franchement humouristiques, alternant admirablement les tons au cours de 90 minutes d'enquête.

En fait, c'est toute la dynamique qui s'installe entre Sherlock et John Watson qui se révèle absolument jubilatoire, petit joyau d'écriture enlevée et brillante. Les échanges entre les deux personnages principaux, derrière lesquels se forme progressivement une indéfinissable complicité, sont particulièrement inspirés et toujours rythmés. Les monologues de Sherlock, tout comme certains dialogues plus classiques, sont piquants à souhait et conservent quelque chose d'atypique, prenant plaisir à surprendre et à nous mettre en porte-à-faux. C'est ainsi que les répliques, potentiellement "cultes", délicieusement cinglantes et merveilleusement ciselées, s'enchaînent et  marquent un téléspectateur, intrigué, définitivement skotché devant son petit écran.

Pour porter cette base des plus intéressantes à l'écran, le casting s'avère être une surprenante réussite. J'avoue que je n'avais pas gardé jusqu'à présent de souvenir impérissable de Benedict Cumberbatch (The Last Enemy) ; il m'a bluffé et agréablement surprise dans ce premier épisode, où il campe de façon très convaincante, avec un charisme et une présence à l'écran qui en impose, le personnage de Sherlock Holmes. Martin Freeman (Charles II, The Office UK) est, lui, à la hauteur de l'enjeu, toujours très solide, pour camper tout en nuances le Docteur Watson. Les deux acteurs fonctionnent particulièrement bien ensemble. Du côté des figures plus secondaires, Una Stubbs incarne Mrs Hudson, la logeuse de nos compères, tandis que Rupert Graves (Midnight Man) joue un Lestrade, un peu dépassé, mais toujours plein de bonne volonté, qui reconnaît Sherlock à sa juste valeur.

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Bilan : L'idée d'une version moderne de Sherlock pouvait laisser perplexe, ce premier épisode balaie toutes nos craintes antérieures. Captant parfaitement l'essence de cette figure mythique du détective anglais et son acolyte médecin, l'épisode regorge de passages jubilatoires, de répliques cultes qui font mouche, le tout alternant de façon fluide entre scènes plus sombres et moments décalés où perce une pointe d'humour. Le téléspectateur se laisse entraîner sans résistance dans cette aventure stimulante et fascinante, nullement gêné de voir Sherlock Holmes déambuler dans un décor moderne. Si bien que notre seul regret, à la fin de l'épisode, c'est la pensée qu'il ne reste que deux épisodes à savourer.


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série :